Rencontre surprise avec un trublion.

Pendant que les gosses choisissaient leurs bouquins à l'étage du dessous, je devais choisir le mien en quatrième vitesse sans aucunes envies précises sur la question et; sur le présentoir-nouveauté, face au préposé à l'enregistrement des livres, trônait crânement un pavé de plus de 450 pages au titre énigmatique "Hunter S. Thompson Gonzo Highway". Par le sibyllin alléchée, je zyeutai rapidement la quatrième de couverture éclairant ainsi ma lanterne et titillant du même coup ma curiosité. Comment avait-il été possible de n'avoir jamais entendu parler de cet ovni de journaliste caractériel, subversif, délicieusement corrosif! officiant dès les années 50 dans une Amérique puritaine... Ce serait bien la première fois que je me lancerais dans la lecture d'une correspondance. Le mec avait gardé un double de toutes les lettres qu'il avait envoyées, importantes ou pas. Je ne résiste pas à en recopier quelques unes, histoire de conserver une trace de ce dingo camé mégalo.

Hell's Angels 1966
"Loin d'être des freaks, les Hells Angels sont les produits logiques d'une culture qui, aujourd'hui, se dit choquée par leur existence. A force de vivre dans un univers où des hors-la-loi de celluloïd volent du dentifrice et de la brillantine, la génération représentée par les éditeurs du Times ne peut plus affronter la réalité. Pendant 25 ans, ces gens ont regardé avec leurs gosses des hors-la-loi d'hier mettre le bazar dans le monde d'hier...si bien qu'aujourd'hui, ils élèvent des gosses persuadés que Jesse James est un personnage de la télévision. Voici une génération qui est partie en guerre pour défendre Maman, Dieu et le hamburger, l'American Way of Life."

A Dave Allen, directeur général adjoint de Krex-tv offusqué d'une précédente lettre.
"Le 10 juillet 1969
Cher M.Allen,
Merci pour votre lettre du 7 juillet. J'ai été tout particulièrement frappé par le fait que vous "désapprouviez les grossièretés utilisées dans (ma) lettre"...et à cela je ne peux répondre qu'une chose : Allez Vous Faire Foutre.
Moi je désapprouve 99% des saloperies que vous diffusez à l'antenne. Vos programmes sont un monument à tout ce que l'Amérique a de pourri...et vous avez le culot de vous plaindre de ma façon de "jurer" dans ma lettre du 3 juillet. Pauvre ignorant décérébré; dorénavant, je vais m'abaisser à votre niveau. (...)"

Lettre à la rédaction, Aspen News et Aspen Times.
"Le 14 décembre 1969
Monsieur le rédacteur en chef,
La raison pour laquelle j'écris cette lettre est regrettable, mais je ne peux plus vivre à Aspen sans faire quelque chose contre le peu de réactions qu'inspire la guerre au Vietnam. Je ne suis pas le seul à éprouver ce sentiment.
Par conséquent, je voudrais expliquer notre manifestation avant que nous la mettions en oeuvre, parce que je me rends compte que beaucoup de gens ne comprendront pas. Le soir de Noël, nous allons brûler un chien au napalm (ou à l'essence solidifiée, dont la composition est proche) dans une rue très passante. Si possible, nous en brûlerons plusieurs, à condition que nous arrivions à en trouver plusieurs ce jour-là.(...)
Quiconque juge insupportable de brûler des chiens au napalm doit se rappeler que l'armée américaine brûle chaque jour des êtres humains au napalm. (...)
Nous pensons que cette action provoquera une prise deconscience, une fois que les gens auront constaté les effets du napalm. (...) Quiconque a des doutes à ce sujet peut se porter volontaire et prendre la place du ou des chiens que nous auront trouvés le moment venu. Quiconque désirant se porter volontaire n'aura qu'à se tenir devant le magasin Mountain Shop, vers 16 heures, le jour de Noël, muni d'une pancarte "Chien au napalm". (...)"

Une petite dernière, datée du 12 août 1971 à Margaret Harrel, la relectrice qui a travaillé sur Hell's Angels. Il s'en prend à John Wayne.
"(...) Wayne est l'ultime "Américain" - voire l'Américain final. Il bousille tout ce qu'il ne pige pas. Les ondes cérébrales du "Duke" sont les mêmes que celles qui parcourent le cerveau du requin-marteau - une bestiole si stupide et si vicieuse que les scientifiques ont abandonné tout espoir d'y comprendre quelque chose, et le décrivent comme un "archaïsme" inexplicable. Le requin-marteau n'a pas évolué depuis un million d'années (...) apparemment il n'a pas de descendants. Sauf que sur cette question, la science se trompe. Comme bon nombre d'espèces, le requin-marteau a évolué en changeant d'habitat. Les + évolués d'entre eux ont quitté leur habitat marin pour apprendre à marcher sur terre. Ils ont appris à parler américain -malgré leur petite cervelle de moineau- et certains d'entre eux ont migré à Hollywood où ils ont été fort prisés en tant que figurants (voire héros) et utilisés dans des centaines de films de "cow-boys". (...) Le requin-marteau faisait un guerrier parfait. Il défendait le drapeau. N'importe quel drapeau. Il a appris à comprendre des mots tels que "ordres" et "patriotisme", mais le secret de sa réussite était son goût immémorial pour le sang. C'est dans l'action qu'il se révéla. Mais il n'avait pas un sou de jugeote; aussi fallait-il le guider."