01 juillet, 2008

Que tal ! / Comment ça va ?

J'ai rencontré Goya, pardon, Francisco de Goya y Lucientes, il y a 23 ans. La prof de français, un peu tarée mais très suicidaire, avait eu l'idée de traîner au Palais des Beaux Arts de Lille une bande de sales adolescents morveux et blasés issus pour moitié de l'intelligentsia et pour l'autre de la classe ouvrière. Faisant partie de la 2è catégorie, ma culture de mal dégrossie me laissait envisager la visite comme chiante même très chiante avec tous ces vieux tableaux sombres de bonshommes imbus se tapant la pose et de bonnes femmes soumises se prenant pour des madones. L'enseignante, avisée, pas si tarée que ça finalement, nous a d'abord payé un coup au bistrot d'en face. Nous étions un peu comme les soldats avant l'assaut. Je dis n'importe quoi !
Des faces apprêtées, vaniteuses, des scènes religieuses roboratives et seules, sur ce pan de mur, au détour d'une salle, ces affreuses et terrifiantes Vieilles bientôt fauchées par la mort mais si farouchement coquettes et si farouchement attachées à la vie. Et ce pied de nez cynique et cruellement drôle de Goya (ah ça m'a plu) inscrivant sur le miroir son hilarant foutage de gueule : que tal / comment ça va ?

A les revoir 23 ans après, le choc est passé, les Vieilles sont maintenant digérées et apprivoisées. Goya a passé le relais à nos contemporains, ainsi l'estampe 55 (issue de la série Comme un chien qui retourne à son vomi) de Jake & Dinos Chapman met en scène cette même vieille entourée de 3 clowns morbides, elle se pare et se mire dans un miroir grouillant de vers spaghettis. Les estampes ressemblent à des planches de BD légèrement colororisées à la manière d'un vieux film noir et blanc, les personnages à un mix d'extra-terrestres et de monstres J.Bosch.

Les estampes de Goya, intitulées les Caprices, sont également le prétexte pour le photographe japonais Yasumasa Morimura de créer sa propre série de Caprices, Los Nuevos Caprichos, et de se mettre seul en scène. J'aime son esthétisme moins sa démarche, il n'invente rien, il se contente de replacer les scènes dans le monde d'aujourd'hui.

Goya reste le maître, acerbe, acide, cynique, pointu, drôle, doué, vif, piquant, critique. Bref, intéressant. Il dresse une satire violente de la société du 18è siècle, il croque les pauvres, abrutis et méchants, les puissants, vénaux et corrompus, les cléricaux, débauchés et morfals, les mariages arrangés, les hommes lubriques déplumés par les prostituées ( une de mes planches préférées, Todos caeran / Ils tomberont tous - En haut d'un arbre, une jeune fille à la gueule d'ange attire une nuée d'hommes-oiseaux libidineux, tandis qu'au pied une vieille macrelle prie Dieu pour + d'offrande et que 2 prostituées plument les vicelards et les entubent par le croupion ), la sorcellerie (que dire de cette planche montrant une jeune fille trifouillant la bouche d'un pendu pour y chercher les dents , éléments indispensables avec la corde entrant dans la composition de philtres d'amour...). Les sujets sont parfois glauques, parfois attendrissants, jamais larmoyants mais toujours profonds.


L'expo est prolongée jusqu'au 17 août. http://www.pba-lille.fr/

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